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En Ouganda, la traque contre la tuberculose

10 décembre 2018

CORALIE LEMKE, ENVOYÉE SPÉCIALE À KAMPALA (OUGANDA)

Alors que la tuberculose fait encore de nombreux morts dans les pays à ressources limitées, des chercheurs français de l’université de Bordeaux ont lancé des travaux pour tenter de l’éradiquer. L’Usine Nouvelle est partie en Ouganda à leurs côtés.

Si vous toussez depuis plus de deux semaines, vous avez peut-être la tuberculose. Le dépistage est gratuit. Rendez-vous dans un centre de santé. » Sur l’affiche, un petit garçon qui tousse et un médecin rassurant en blouse blanche. À l’hôpital Mulago de Kampala, en Ouganda, il reste encore des piles de posters dans les réserves. Elles sont entreposées juste à côté d’un épais cahier vert, le registre des patients qui ont pu bénéficier de soins dans le centre médical.

Difficile d’informer tout un pays sur la maladie infectieuse la plus meurtrière au monde, qui tue plus que le sida. La tuberculose a fait 1,6 million de morts à travers le monde en 2017. Plus de 50 % des cas estimés ne sont pas diagnostiqués ou notifiés à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et plus de 90 % des décès chez les enfants surviennent avant la mise sous traitement, faute de diagnostic. Si bien qu’en septembre, l’OMS tirait le signal d’alarme face à cette pandémie. Cette infection, qui s’attaque aux tissus pulmonaires, parfois à d’autres parties du corps, comme le cerveau et les reins, finit par cribler les poumons de petites cavités avant de conduire à la mort. Elle est d’autant plus contagieuse qu’elle se transmet par voie aérienne. Pourtant, des médicaments adaptés existent et permettent d’en guérir, après six mois de traitement par antibiotiques.

Le dépistage reste le nerf de la guerre. Afin de détecter un maximum de cas, l’université de Bordeaux a mis en place un projet de recherche clinique appelé TB-Speed. Il a pour but de réduire la mortalité infantile liée à la tuberculose. Un programme d’envergure financé par Unitaid, une organisation qui investit dans des solutions de lutte contre le VIH, la tuberculose et la malaria, mais aussi par l’Initiative 5 %, une structure de dons française pilotée par le ministère des Affaires étrangères et du Développement international, qui lutte contre les pandémies. Le projet présente deux objectifs majeurs : étendre le dépistage aux zones reculées et le généraliser à tous les enfants. « On perd du temps, donc des vies. Voilà pourquoi il faut mettre en place la détection systématique », explique Olivier Marcy, le directeur de TB-Speed.

Prélever, analyser, dépister

Son équipe bordelaise s’est rendue à Kampala afin de faire un point d’étape avec les membres sur place. En Ouganda, quand les équipements de dépistage existent, ils restent très basiques. Le centre pédiatrique de l’hôpital Mulago a les moyens de prélever, puis d’analyser des sécrétions buccales. « Il nous faut un petit échantillon de glaires. Le problème, c’est que les enfants ne savent pas encore comment cracher », explique Éric Wobudeya, pédiatre spécialisé en maladies infectieuses et coordinateur local du projet. Dans une salle de consultation exiguë, les sécrétions des petits patients sont recueillies grâce à un embout de verre placé dans leur bouche et relié à une machine qui les aspire. Entre chaque consultation, l’embout de verre est nettoyé dans un stérilisateur. Des dispositifs certes rudimentaires, mais toujours plus efficaces que dans les centres de santé de brousse. « Il existe d’autres méthodes, mais elles sont trop invasives, comme une sonde gastrique, posée à jeun sur le jeune malade hospitalisé », explique le docteur. Une pratique trop compliquée quand l’essentiel, c’est d’aller vite. Venir à l’hôpital constitue parfois un déplacement considérable pour les familles. Elles attendent dehors, assises sur l’herbe, lavent leur linge et font cuire leur riz en attendant des résultats.

Les analyses sont réalisées dans le laboratoire du service dédié à la tuberculose. Les tables branlantes et les affiches au scotch défraîchi contrastent avec le reste des équipements flambant neufs. Sur une étagère, quatre petites machines cubiques s’alignent. Ce sont des appareils de biopsie moléculaire appelés GeneXpert, développés par Cepheid, une société américaine de diagnostic moléculaire. Composés de quatre compartiments chacun, ils peuvent analyser l’ADN à partir d’un échantillon biologique en quelques heures. L’équipe compte sur ce type d’équipement, mais aussi sur CamTech, un consortium établi par le Massachusetts General Hospital, qui a pour but de rendre les innovations médicales accessibles à travers le monde. « C’est avec eux que nous pourrons définir quelles sont les solutions les plus adaptées aux dispensaires de brousse. Après l’aspiration naso-pharyngée, nous pensons mettre au point des kits pour préparer les échantillons de selles, avant de les faire analyser par le GeneXpert », explique Maryline Bonnet, la chercheuse coordinatrice du projet TB-Speed. Des diagnostics bactériologiques plus précis que les simples imageries médicales. « Seule une petite partie du personnel est vraiment formée à lire une radio des poumons. De plus, la tuberculose est souvent confondue avec d’autres maladies, comme la pneumonie », explique Éric Wobudeya.

Malnutrition et VIH, deux facteurs aggravants

Passer à côté d’un diagnostic, c’est faire perdre des chances de survie au malade. Car la tuberculose est souvent associée à d’autres pathologies, qui rendent le risque de mortalité encore plus accru, notamment le sida et la malnutrition. Parmi le 1,6 million de personnes qui en sont décédées en 2017, 300 000 étaient co-infectées par le VIH. Avec les carences nutritionnelles qu’une alimentation insuffisante implique, les enfants, très affaiblis, ont besoin d’encore plus de soins. L’hôpital Mulago comporte un centre de traitement de la malnutrition infantile, à la façade décrépite et devant lequel se balancent des balançoires rouillées. Ici trois à cinq enfants en moyenne sont admis chaque jour, dix au maximum. « Nous commençons par les mesurer et les peser, explique l’infirmière en pointant du doigt une toise en bois. Dans les semaines qui suivent, nous leur donnons suffisamment de lait pour qu’ils reprennent un poids normal pour leur âge. » Il n’existe qu’une salle de soins intensifs et de réanimation. Pas grand-chose dans la pièce, hormis un lit en fer forgé et une bouteille d’oxygène posée à même le sol. Et peu d’espoir pour les familles. Pour l’équipe de Bordeaux, le but est de faire évoluer les politiques de santé des pays touchés par la pandémie. Si les résultats du programme TB-Speed s’avèrent concluants, elles pourraient être adaptées afin d’installer durablement un plan de lutte complet contre la tuberculose. « Nous allons évaluer le rapport coût-efficacité de ce programme pour les systèmes de santé. Car au-delà des coûts, quand on sauve un enfant, on sauve soixante-dix ans de vie, ce qui n’est pas négligeable », souligne Angéline Serre la chef de projet de TB-Speed à l’international. Les chercheurs espèrent pouvoir examiner 72 000 enfants à travers le monde et y ajouter ceux qui présentent des signes suspects en procédure de dépistage.

L’hôpital Mulago dispose d’outils de prélèvement et d’analyse. Les sécrétions buccales des plus jeunes enfants sont aspirées au moyen d’un embout de verre. Dans l’attente des résultats, les familles patientent à l’extérieur.

Un fléau toujours d’actualité

  • 1,6 million de morts en 2017
  • 300 000 personnes décédées étaient co-infectées par le VIH
  • Plus de 50 % des cas estimés ne sont pas diagnostiqués
  • 90 % des décès chez les enfants surviennent faute de dépistage

(Source : OMS)

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